Cap sur l'Antarctique

Cape Town
Pour la quarantaine imposée entre l’arrivée à Cape Town et le départ pour l’Antarctique, l’équipe d’ouverture de la station séjournait deux par deux dans des lodges à Houtkapperspoort et son domaine où des springboks sont en ‘liberté’. La quarantaine fut l’occasion pour la plupart de recharger leurs batteries : soleil, promenade dans les hauteurs de Table Mountain National Park, farniente. Sauf pour ceux qui se sont ramassés non pas le covid, mais une gastro carabinée (moi y compris) dès le deuxième jour. En Afrique du Sud, toute propriété privée est clôturée, de vrais prisons inversées m’a-t-on fait remarquer.

Le jour le plus long
Le jour J (ou plutôt J+1 car la météo capricieuse de l’Antarctique a retardé le départ d’une journée), le rendez-vous est fixé à 6h15 (du matin). C’est le début de la plus longue journée de ma vie. Elle va durer… 4 mois ! Après avoir été témoin une dernière fois de l’enfer que sont les bouchons et l’heure de pointe dans une métropole, et admiré une dernière fois de la verdure, on arrive à l’aéroport en minibus (Toyota ou Hyundai, comme 95% des véhicules en Afrique) et pénètre par l’entrée des artistes, entre les pilotes de notre avion, et le bus de l’équipe de la station indienne. Après un contrôle sommaire des bagages et de nos tests covid, on embarque dans l’Ilyushin (IL-76), l’avion-cargo russe qui assure le pont aérien entre Cape Town et le terrain d’aviation de la station russe de Novolazarevskaya (‘Novo’ pour les initié.e.s) située sur la côte Antarctique. Le confort à bord est sommaire, l’aspect vieillot (ou dernier cri en Russie), on est assis en rang d’oignons sur des banquettes adoucies d’un petit coussin, le long du fuselage car le cargo occupe le milieu, avec 40 cm de passage pour se faufiler vers l’avant de l’avion (et son self-service de sodas et snickers) ou vers l’arrière (et ses toilettes type ‘Cathy cabine’).


Le bruit est assourdissant, tout le monde porte soit des boules quiès, soit un casque audio. Les gens s’occupent comme ils veulent et peuvent. Pour ma part, j’en profite pour écrire dans mon carnet personnel, lire les Piliers de la Terre (ou plutôt m’offrir le plaisir de le relire, je cherchais une lecture captivante), écouter de la musique (merci à toutes celles et ceux dont j’ai téléchargé à leur insu leurs playlists Spotify en dernière minute), et puis m’allonger à moitié sous la banquette pour fermer les yeux. Une heure et demi avant l’arrivée, on nous somme de nous ‘équiper’. Au départ, on avait en effet tous préparé trois sacs différents :
- un sac à dos ‘de cabine’,
- un sac ‘de soute’ (type Duffel) avec le gros de nos affaires personnelles,
- et puis un ‘polar bag’ avec une tenue complète pour le grand froid, qu’on avait reçu de la fondation polaire internationale, la structure qui chapeaute les activités à la station et les expéditions BELARE.

Le t-shirt en coton est remplacé par le sous-vêtement thermique en merino, le pantalon léger par le pantalon de neige, le coupe-vent par la doudoune. De ma tenue à l’embarquement, seules restent les lunettes de soleil (catégorie 4, 90+ lumière filtrée, interdite pour conduire en Belgique, le minimum pour le continent blanc), et mon caleçon. Heureusement, ils abaissent la température dans l’avion pour éviter toute hyperthermie. Quand on regarde par le hublot, surprise (en tout cas pour moi, moins pour les vétérans blasés), on voit un champ ensoleillé d’icebergs sur fond de ciel bleu clair et océan bleu profond. Je pense même avoir discerné un groupe de baleines, pour celles et ceux qui voudront me croire. Un peu plus tard, c’est la côte blanche de l’Antarctique qui tout d’un coup se dessine. ‘Waouw !’, pour reprendre l’expression favorite de quelqu’un qui m’est cher. La contemplation est vite interrompue par l’ordre de s’asseoir et de s’attacher pour l’atterrissage. Vu qu’on tourne le dos aux hublots, la seule information disponible est celle de l’altimètre de la console de navigation, qui diminue, diminue, diminue… jusqu’à ce qu’on touche… la glace ! Et puis que l’avion s’arrête. La porte s’ouvre, la lumière est éblouissante et inonde l’intérieur.

Novo
A la sortie, à perte de vue, c’est le grand blanc, et quelques montagnes au loin. Mais ce qui me marque le plus, c’est la chaleur. Il n’y a pas de vent, fait rare en 8 ans, apparemment. Caliente ! Arrivé près du drapeau ‘BELARE’ en bord de piste où l’on va récupérer notre fret, on s’empresse de retirer quelques couches. Un polar fera l’affaire ! Le temps qu’ils déchargent nos affaires de la soute à grand renfort de trans-palettes, on peut faire un petit tour sur le terrain d’aviation, composé de machines en tout genre et de tous âges, de gens qui ne courent pas (pour ne pas glisser), de containers aux fonctions multiples, dont le ‘mess’ et les toilettes (celui-là était un peu à l’écart et d’une belle décoration zébrée). Tout l’enjeu est de n’oublier aucune caisse avant de continuer notre périple vers la station belge située à quelques centaines de kilomètres de là dans les terres. Alain Hubert, le chef d’expédition tient un compte précis, et quelques heures plus tard, voilà notre équipe de 14 embarquée à bord d’un Douglas DC-3 (encore un avion datant d’une autre guerre), équipé de patins car à l’arrivée les pilotes canadiens (ou plutôt le pilote et sa jeune co-pilote) devront se poser sur la neige ! Dans la cabine se trouvent aussi des ‘safety kits’ contenant matelas et sacs de couchage polaires (-20 °C +), au cas où on doit faire un arrêt imprévu en cours de route… gla gla !





En DC-3 vers PEA
Je passe une belle partie du voyage de deux heures agenouillé derrière eux à les observer piloter (c’est mieux que Flight Sim sur Twitch), et se rapprocher des Sør Rondane Mountains où la station est située. Après un passage de reconnaissance à basse altitude, et pour nous l’occasion de voir pour la première fois la station enneigée, et toutes les éoliennes tourner (ouf, aucune n’a cassé cet hiver !), le pilote ‘choisi’ un endroit pour se poser. Pour le coup, il avait l’embarras du choix, il y a de la place et peu d’obstacles ici. Alain aurait aimé qu’il se pose sur la piste de la station, mais le pilote en a décidé autrement. Pendant que certains (j’écris au masculin, car sur 14 on est (malheureusement) 13 mecs…) déchargent l’avion, d’autres déneigent les containers en bord de piste pour libérer les skidoos (motoneiges) et leurs luges qui nous permettront de parcourir les 2 km restant jusqu’à la station.



En théorie, il y fait chaud. Ce soir-là, seule la bolo sera chaude.
Normalement, pendant l’hiver, la station n'est pas habitée et elle est en hibernation, sorte de pilote automatique, où l’énergie éolienne (il n’y a pas de soleil) et si nécessaire des génératrices de secours permettent de maintenir la station chauffée ainsi que ses fonctions vitales, telles que les communications satellites avec la Belgique. Cependant, depuis le mois de juin, les communications avec la station avaient été perdues et les derniers messages reçus indiquaient des erreurs sur les génératrices. En arrivant, on ne savait donc pas dans quel état on allait trouver la station, mais on s’attendait au pire.
A l’arrivée, il gèle à l’intérieur de la station, et logiquement, les batteries sont plates. Les thermomètres intelligents nous permettent de remonter le cours du temps et de savoir qu’il a fait jusque -25 °C dans la station, et que dans certaines pièces il fait encore -20 °C. Chacun s’active de son côté à se rendre utile. Les mécano et menuisiers s’activent à déneiger et relancer les moteurs des génératrices, les ingénieurs à relancer les circuits électriques, les plombiers-chauffagistes à faire fondre de l’eau et relancer la chaudière, le cuisinier à nous dégeler de la bolo. Les premières 48 h ne seront pas ‘zero emission’, mais ‘full emission’. Il n’y a pas le choix, il faut réchauffer la station que pour pouvoir relancer certains appareillages électriques, le système de production et traitement des eaux, diagnostiquer le problème qui s’est passé pendant l’hiver, dégeler les batteries et les vérifier une par une (et si nécessaire la changer… 72 kg pièce !), pour enfin pouvoir relancer la production d’énergie renouvelable. Le soir de l’arrivée (ou plutôt la nuit car il est déjà 23h quand on s’enfile un repas chaud salvateur), on se regroupe 4 par 4 dans les chambres avec des chaufferettes électriques plein pot et des sacs de couchage polaire. La fatigue prend le pas sur l’adrénaline de l’arrivée, il ne faut pas longtemps avant que ça ronfle gentiment. Tout le monde est bien conscient que de l’énergie, on va en nécessiter dans les jours à venir ! Quelle aventure, je me sens tellement vivant.
